Une heure cinquante de bonheur
Il arrive sur le plateau un châle sur le dos. Homme, femme
Philippe Caubère est tout à la fois. Et la mère et le fils. Et l’ado qu’il était en mai 1968, du temps où il passait le bac à Aix-en- Provence avec des désirs tout autres, bien sûr, que ceux de la petite-bourgeoise gaulliste qu’était maman, la truculente et infernalement bavarde et autoritaire Claudine. Il l’interprète avec une verve tendre, un art du burlesque raffiné. Et défile alors à travers le verbe haut en couleur de la mère futée toute une certaine histoire de France, de la guerre de 1940, de la Résistance et de la collaboration, de la province française, de la décentralisation qui commence... Claudine sait tout, voit tout, sent tout. Une femme miroir qui devient devant nos yeux l’incarnation de notre mémoire hexagonale et qu’on se réjouit peu à peu à regarder vivre, comme dans un album photo de famille. Contrairement à La Danse du diable (début de sa saga Le Roman d’un acteur), qu’il rejoue à l’identique, comme à sa création en 1981 au festival d’Avignon, l’histrion magnifique a réinventé ici ce Bac 68, tiré de l’épisode Claudine et le théâtre (2000). Une heure cinquante de bonheur. On a beau suivre depuis trente-cinq ans le roman scénique toujours recommencé — en quelque vingt spectacles successifs ! — de l’ancien compagnon de route d’Ariane Mnouchkine, on ne se lasse pas de sa vitalité insensée, de son génie mémoriel, de sa spectaculaire psychanalyse théâtrale qu’il sait rendre nôtre. On sait qu’il a travaillé ses souvenirs à partir d’improvisations et son spectacle à base de vidéos. Un forçat de sa propre existence d’artiste, de sa jeunesse, de sa famille et de ceux qui l’ont inspiré. Mais faut-il reprocher à Caubère pareil autocentrisme A travers le récit de sa vie, c’est nous aussi qu’il raconte et décrypte. Et nos destinées très françaises. Avec leurs rêves et leurs illusions, leurs lâchetés et leurs grandeurs. L’exercice est aussi hautement artistique. Interprétant à différents âges à peu près les mêmes textes, Caubère fait laboratoire théâtral de son propre corps et nous montre à travers son interprétation les infinies variations du temps qui passe. Pour ceux qui retournent le voir pour le voir, encore et encore, c’est magnifique. Il offre en direct la vie qui passe...
La Chronique de Fabienne Pascaud, Télérama
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